Vérité sur les déchets nucléaires: parlons-en enfin !

 Vérité sur les déchets nucléaires: parlons-en enfin!

Par Stéphanie Bui…

D'immenses cheminées d'où s'étire, à l'infini, un blanc nuageux sur fond de bande son guerrière et, dès les premières secondes du film, le son donne le la: une plongée dans la vie cachée des déchets radioactifs, le tabou du nucléaire. Alors, on oublie vite la beauté bétonnée inspirant en leur temps les photographes Bernd et Hilla Becher; la peur surgit et puis, le rationnel reprend le dessus ─ on se pose alors les bonnes questions. Que renferme donc, sous sa blanche pureté, ce gaz rejeté dans l'air  Que deviennent les déchets nucléaires issus des centrales? Et quels en sont les risques? Nous allons enfin comprendre. "L'obligation de subir nous donne le droit de savoir" (Jean Rostand) aime citer Laure Noualhat, avec Eric Guéret, du documentaire Déchets: le cauchemar du nucléaire.

Le danger du déchet

Schémas dynamiques avec explications dévoilées par la voix bienveillante de la comédienne Marianne Denicourt et l'on comprend mieux le danger d'un déchet issu d'une centrale. Le principe: au bout des 4 années de la phase d'enrichissement de l'uranium nécessaire à la fabrication de combustible nucléaire, l'assemblage radioactif usé doit être alors remplacé. 96% de cet assemblage se retrouve sous forme d'uranium inutilisable en l'état, mais présenté comme recyclable par les usines de retraitement d'Areva.

Avant la phase de recyclage, à sa sortie de la centrale, cet uranium est un déchet nucléaire. Sa dangerosité: s'en dégagent alors des rayonnements ionisants nocifs cassant chez les individus, entre autres, les molécules d'ADN déclenchant des cancers, principalement. Les enquêteurs dénoncent ainsi l'argument récurrent de la trop grande complexité du sujet, prétexte, selon eux, pour occulter la vérité du danger des déchets nucléaires.

Une vérité qui dérange aussi les citoyens français

Sous un titre cauchemardesque propice au réveil brutal du téléspectateur vers plus de lucidité et d'envie de comprendre la gestion des déchets nucléaires, le film est avant tout une enquête politique, journalistique, scientifique - et non militante.

Remarquant la remise en cause facile de l'objectivité des enquêtes sur ce sujet, sous prétexte de militantisme caché, voire d'énième propos alarmiste, il semble important de préciser les conditions de cette enquête-ci. Un instant on se demande, tout de même, où réside la difficulté: pour les enquêteurs, de rassembler, sous la forme d'une narration rationnelle, des informations taboues déjà mises en avant par les militants depuis des années*? Ou pour nous autres, citoyens, de reconnaître une vérité qui nous dérange aussi?

Eric Guéret, le réalisateur, avec un ingénieur de la CRIIRAD - Crédit Photo: Laure Noualhat

Eric Guéret rappelle alors la fierté nationale que représente le nucléaire en France, industrie développée dès la fin de la décolonisation, dans les années 60/70. Le nucléaire est de suite devenu le symbole de l'indépendance du pays, et qui fournira aux français toute l'énergie souhaitée. En témoigne les propos de Hubert Reeves, extrait de la préface du livre "Déchets, le cauchemar du nucléaire"*, de Laure Noualhat : "C'est la fin de la pauvreté dans le monde! Pensez donc : un gramme d'uranium peut dégager autant d'énergie qu'une tonne de charbon!". La question de la dangerosité des déchets ne se posait pas alors.

Le débat "déchire les gens", insiste le réalisateur. En ces temps de communication sur le développement durable et sur le nucléaire comme énergie propre et recyclable, le débat sur la pertinence et la dangerosité du nucléaire s'est renforcé. Rappelons que les français bénéficient des 80% d'électricité produite par les centrales d'EDF pour satisfaire besoins et confort… Difficile dans ce contexte de remettre facilement en question le nucléaire qui ne nous a jamais quittés…

Une enquête indépendante

Documentaire au budget conséquent pour cette première grande investigation entre la France, la Russie, l'Allemagne et les Etats-Unis, il a bénéficié du soutien de la chaîne indépendante franco-allemande ARTE qui diffusera le film à une heure de grande écoute à 20h45, le 13 octobre, mais aussi du soutien de la société indépendante Bonne Pioche, entre autres productrice de La Marche de L'Empereur, du programme documentaire Rendez-vous en terre inconnue sur France 2, une pipolisation réussie au service d'une sensibilisation écologique.

Dans des conditions idéales, le duo d'enquêteurs suit une logique d'investigation implacable. Reprenant, au début du film, le "parlons-en!" lancé par la PDG d'Areva, Anne Lauvergeon, au sujet de la peur suscitée par les déchets nucléaires, évoquée lors d'un journal télévisé, l'enquête repose alors sur la transparence affichée d'Areva. S'ensuit un périple autour des sites marquant l'histoire des déchets nucléaires.

La caution scientifique

Où se retrouvent-ils? Quels niveaux de radioactivité dégagent-ils? La caution scientifique viendra des ingénieurs en physique nucléaire de la Commission de Recherche et d'information Indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD) qui accompagneront les enquêteurs sur les sites pour faire des prélèvements pertinents et les analyser ensuite au laboratoire, en France.

Créée au lendemain de la catastrophe de Tchernobyl en 1986, la CRIIRAD est une association à but non lucratif, indépendante de l'état, des exploitants du nucléaire et des partis politiques. Complètement financée par plus de 4000 adhérents, elle mène ses propres investigations et diffuse les informations recueillies à l'attention des citoyens et de leur santé et environnement. Les ingénieurs de la CRIIRAD et son laboratoire d'analyse spécialisé et agrée pour les mesures de la radioactivité dans l'environnement permettent ainsi d'évaluer l'impact des installations nucléaires, de rechercher les pollutions, de contrôler la chaîne alimentaire et les objets du quotidien.


Déchets, le cauchemar du nucléaire
par arte

Tcheliabinsk, la première catastrophe nucléaire oubliée

La radioactivité s'écoute avec les fameux bip-bip sonores du radiamètre réagissant à la haute radioactivité de la rivière Tetcha, facile d'accès pour les villageois russes de la région de Tcheliabinsk. Premier Tchernobyl caché sur le site de Mayak, en 1957, l'accident nucléaire est resté secret. En pleine guerre froide, les autorités russes avaient préféré, à la protection des 300 000 personnes regroupées sur un territoire de 800km², le maintien du secret du lieu de production du plutonium. Et à l'ingénieur de la CRIIRAD, Christian Courbon, d'imaginer les pêcheurs s'approvisionner, aujourd'hui, dans cette rivière, mesurée 50 fois le niveau de radioactivité naturelle… Un poisson capté en pleine nuit dans la Tetcha fut ramené en France pour être analysé par la CRIIRAD.

Crédit Photo: Laure Noualhat

Aucune contre-indication réelle pour les habitants d'éviter cette rivière, parce qu'officiellement, selon l'adjointe du ministre de la sécurité nucléaire et écologique de la région, Svetlana Kostina, il n'y a pas de radioactivité; elle est officiellement au-dessous de la dose préconisée par l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA). Or, on apprend alors qu'il existe une interdiction de s'approcher de la Tetcha, datant seulement de 1993, à l'arrivée au pouvoir de Boris Eltsine et de la perestroïka… Le panneau d'interdiction sera alors posé par des associations russes et non par le pouvoir public. Seuls 2 militaires seront affectés à la surveillance de la rivière longue de 240km.

Scène de vie à Tcheliabinsk - Crédit Photo: Laure Noualhat

Abandonnés des autorités, vivant dans la précarité sans possibilité de refaire une vie ailleurs et attachés à la terre de leurs ancêtres, les villageois vivent comme si de rien n'était. Ils traient leurs vaches dont ils boivent le lait contaminé. Objets d'analyses médicales régulières, ignorant jusqu'aux résultats des tests subis, ils se savent condamnés. Résigné devant cet abandon des autorités, un villageois, impassible, lance: "nous sommes des cobayes ; c'est notre destin". Film oblige, une bande-son sensée, signée des musiciens Pierre Fruchard et Etienne Bonhomme, souligne cette sordide histoire vraie. De la mélodie s'échappent en filigrane de légers bips, traces sonores radioactives, le tout entremêlé de sons grinçants. Impossible de faire la sourde oreille à ces histoires de vie délaissées.

Rivière Tetcha - Crédit Photo: Laure Noualhat

La France: entre la Manche et la terre de Russie

Comptant sur la transparence affichée par la PDG d'Areva, les enquêteurs obtiennent un accord pour visiter la centrale de la Hague. Le malaise de l'ingénieur d'Areva à répondre aux questions sur la potentielle contamination des déchets est grand. Hésitant dans le choix des mots, il est finalement secouru par le directeur de la communication de la Hague. Non, affirme-t-il, il n'y a pas de contamination, mot tabou, mais des "traces" mesurées au-dessous du niveau de radiation naturelle.

Le taux référence utilisé par Areva est obsolète, nuance Bruno Chareyon, ingénieur en physique nucléaire, chef du laboratoire de la CRRIRAD. Ce modèle reprend la mesure de la radioactivité du "modèle Hiroshima-Nagasaki", réduisant les "facteurs risque". A la place, la CRIIRAD préconise le modèle linéaire sans seuil prenant en compte les doses radioactives faibles, mais bien actives sur le long terme. Ce modèle linéaire sans seuil est, par ailleurs, proposé par l'organisation internationale indépendante, la Commission internationale de protection radiologique (CIPR), et par l'UNSCEAR (United Nations Committee on the Effects of Atomic Radiation), l'organisme international qui évalue les bases de la protection contre les radiations.

Site de la Hague

A la question du bilan du retraitement des matières, notamment de l'uranium, officiellement recyclable à 96%, pourcentage clé de la communication d'Areva pour justifier un nucléaire propre, le groupe fermera finalement l'accès des sites aux enquêteurs. De quoi motiver de plus belle ces derniers dans leur quête de vérité sur le traitement des déchets.

La contamination de la mer au large du site de la Hague d'Areva, nous l'observerons grâce au fonds de documentation conséquent de Greenpeace, accumulé au fil de leurs opérations d'envergure menées. Un extrait de vidéo sous-marine témoigne de l'utilisation de la Manche, plus précisément de la Fosse des Casquets, comme poubelle nucléaire. Y gisent, plusieurs centaines de mètres sous l'eau, des restes des tonnes de fûts éventrés. Les déchets radioactifs ont été dispersés dans la mer. La promesse de la sécurité des fûts pour des siècles n'est pas tenue.

Suite à cette opération, un traité en 1993 interdira l'immersion en mer des déchets radioactifs depuis les bateaux, mais pas depuis les centrales! Aujourd'hui, par les conduites terrestres menant ouvertement à la mer, l'usine de traitement des déchets de la Hague rejette annuellement, en toute légalité, selon Yannick Rousselet, chargé de campagne Greenpeace France, 33 millions de fûts de 200 litres de déchets radioactifs aux traces visibles jusqu'en arctique.

A quand un débat public ?

Comme Laure Noualhat et Eric Guéret, délaisserons-nous enfin une réflexion émotionnelle et stérile autour du nucléaire, dominée sinon par la peur, du moins par l'opacité voire par les propos contradictoires tout azimut? Que penser de la "confiance" dont nous demande de faire preuve, à la fin du documentaire, Bernard Bigot, Haut-Commissaire à l'énergie atomique et conseiller technique et scientifique auprès du gouvernement et du Président? Les autorités publiques sollicitent la confiance des citoyens envers les lois de la physique, envers le sens de la responsabilité des décideurs politiques et industriels, alors que certains d'entre eux ont été pris en flagrant délit d'ignorance ou d'opacité dans le film.

A cet égard, la séquence du débat télévisé entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, lors la dernière campagne des élections présidentielles, en dit long sur l'ignorance des politiques sur le nucléaire. Le débat se déroule, de nouveau, sous nos yeux, à coup d'arguments faux dénoncés dans le film.

Déficit démocratique

Mycle Schneider, analyste international sur les questions d'énergie et du nucléaire, explique dans un entretien, la tradition française de laisser la réflexion sur le nucléaire entre les mains de "l'élite de l'élite", une vingtaine de personnes environ, toutes issues du corps des mines. Cette "aristocratie républicaine" définit la mise en place de la politique énergétique, industrielle, de la recherche et de l'environnement en France. Les politiciens, selon lui, ne s'intéressent pas à la politique énergétique: ils la fuient.

Au regard du déficit démocratique dévoilé dans le documentaire, le "parlons-en!" de Anne Lauvergeon, ce plaidoyer pour une transparence sur les déchets nucléaires, s'avère des plus restrictifs, et d'autant plus opaque au vu du scoop des enquêteurs. Contrairement à la communication d'Areva mettant en avant le pourcentage de 96% des matières recyclables, principalement l'uranium, situé sur le site d'entreposage de déchets de Pierrelatte, seul 10% de ces matières est réellement retraité. Les déchets finissent leur périple sur le site de Tomsk en Russie d'où l'on peut voir les fûts, entreposés à l'air libre, vu de Google Earth. 10% de l'uranium y est alors enrichi et rendu à la France. Le nucléaire ne peut plus être alors présenté comme une énergie propre, recyclable et recyclée.

Site de Tomsk, vu du ciel, par Greenpeace

Pour "un nucléaire rationnel"

Les auteurs militent, non pas pour une politique antinucléaire, mais pour une réflexion rationnelle sur ce sujet, ─ pour la pensée d'"un nucléaire rationnel", résume Laure Noualhat. Le pari de comprendre le point faible du nucléaire, ses déchets, c'est le tour de force de ce film considéré déjà par beaucoup d'utilité publique.

A l'instar de pays comme l'Autriche, la Suède, la Belgique ou l'Allemagne où le sujet est entré dans le domaine public, ce film donnera-t-il envie aux français, certes particulièrement dépendants du nucléaire pour leur consommation d'électricité, de militer pour un grand débat public engageant l'avenir de l'humanité? La réflexion sur le nucléaire défie notre notion du temps. La durée de vie de déchets s'étend sur 200 000 ans, soit 6000 générations…

A noter: le film sera suivi par l'émission L'avis des autres présentée par Patrick Poivre d'Arvor. Le débat sera alors élargi aux choix en matière d'énergie, d'industrie, d'agriculture et leurs conséquences sur l'environnement.

Pour en savoir plus, le livre Déchets, le cauchemar du nucléaire, de Laure Noualhat (ARTE Editions / Le Seuil) retrace en détails l'histoire des déchets du nucléaire, issue de cette enquête aux 200 heures de rush, montée en un film de 97 minutes.

++ Notes ++

Diffusion le mardi 13 octobre 2009 à 20h45. Rediffusion jeudi 15 octobre à 09H55 et jeudi 5 novembre à 03H00 (France, 2009, 98mn)

Ce film a été sélectionné pour le prix Europa 2009 dans la catégorie "TV Current Affairs". Proclamation des résulats : le 24 octobre 2009.

D'autres documentaires à venir!

La quête de vérité se poursuit pour le réalisateur Eric Guéret et la journaliste Laure Noualhat. Nous attendrons avec enthousiasme leur prochain documentaire respectif sur des sujets tout à fait intéressant pour Ecolo-Info.

Désormais en montage de son prochain documentaire à venir sur France 3, courant premier trimestre 2010, Eric Guéret s'attèle à répondre à la question: comment nourrir 10 milliards d'individus sainement ? Nous y découvrirons, avec l'enquête de la journaliste Isabelle Sapin, la traçabilité de quelques filières alimentaires.
Quant à Laure Noualhat, elle enquête désormais pour le documentaire actuellement en développement, réalisé prochainement par Christine Carrière, et intitulé Carbone Business.

 

 

Article tirée de écolo-info. Tous droits réservés.



13/10/2009
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